En complément de cet article, vous pouvez retrouver Cécilia Commo, invitée sur RTL de l'émission de Flavie Flament "On est fait pour s'entendre" - REPLAY RTL
« Tantôt l'amour réunit tout en un ; et tantôt la haine divise tout en deux » déclarait Empédocle, philosophe grec, au Vème siècle avant notre ère. Aurait-il été surpris de constater que ces deux mouvements aux conséquences bien différentes partagent pourtant quelques germes communs… ?
C’est exactement ce qu’une équipe de chercheurs du laboratoire de neurobiologie de l’University Collège of London (1) a mis en lumière, en démontrant, scanners à l’appui, que l'activité sous-corticale engagée dans la haine implique, entre autres, deux structures distinctes : le putamen et l'insula, deux structures qui s’activent également sous l’effet du sentiment amoureux…
En revanche, il y a fort à parier que cette découverte n’aurait pas surpris Sigmund Freud. Il y a plus d’un siècle, ce dernier spéculait déjà que coexistent en nous, pour le meilleur et pour le pire, deux forces majeures (2) : une qui nous tend vers la création, vers l’amour et l’autre, vers l’anéantissement et la haine… Il les symbolisa à l’aide de deux figures mythiques : Eros, celui qui construit et Thanatos, celui qui détruit.
Désormais, il est communément admis que ces oscillations incessantes de l’affect scandent la vie psychique de tout individu mais la preuve par l’image (des rayons X pour être plus précise) que les circuits de la haine et ceux de l’amour partagent deux structures en commun, appuie s’il en était besoin l’intrication de ces deux sentiments au sein d’un seul appareil psychique.
Les histoires d’amour n’échappent pas à cette fluctuation mais fort heureusement chez la majorité d’entre nous, les mouvements hostiles que l’on éprouve s’apparentent plus à de la détestation qu’à de la haine, précision qui a son importance…
Car le contraire de l’amour n’est pas la haine comme on aime à le claironner mais bien plutôt l’indifférence selon Stendhal ou la perversion selon Jung. La haine vise à exterminer l’autre. Elle vise son annihilation, son effacement. Elle est souvent froide et calculatrice ; elle ne se départit pas d’une certaine rationalité, nécessaire à la mise en œuvre de son but destructeur.
La détestation en revanche, celle de cet ex qui nous a quitté, est beaucoup plus désordonnée, bouillonnante et irrationnelle.
Détester vient de detestor en latin qui signifie « maudire, proférer des malédictions en prenant les Dieux à témoin » (d’où la racine de testor qui signifie témoigner). Aujourd’hui encore, il n’est pas rare d’entendre certains « maudire » leur ex auprès de leurs amis ou de leur nouveau ou nouvelle compagne, à défaut de pouvoir s’adresser aux Dieux de l’Olympe.
Mais ce qui différencie vraiment la détestation de la haine ce sont ses effets. Tandis que la haine nous consume et nous assèche, la détestation a des effets… bénéfiques ! Elle nous aide à prendre de la distance, à ne pas sombrer et à relever la tête, d’une certaine manière.
L’étude rapportée dans la revue Cognition and Emotion (3) est à ce titre intéressante, puisqu’elle nous indique que les individus (précisément ceux qui ne sont pas à l’origine de la décision de rompre) qui ont un jugement négatif vis-à-vis de leur ex-partenaire présentent un affect dépressif réduit immédiatement après la rupture… À l’inverse, ils ont observé que ceux qui avaient des jugements moins négatifs vis-à-vis de la personne qui les a quittés, présentaient un affect dépressif plus important. D’après ces chercheurs, évaluer négativement son ex-partenaire joue un rôle important dans l’ajustement psychique post-rupture. De manière un tantinet provocatrice (je vous l’accorde) on en viendrait presque à se demander, non pas s’il est possible de détester quelqu’un que l’on a aimé mais presque s’il n’est pas souhaitable de détester une personne que l’on a aimée… pour aller mieux !
Il est d’ailleurs courant en consultation d’observer le réajustement cognitif d’une histoire amoureuse quand les choses se gâtent. Les débuts racontés sont souvent pâles et sans extase : face à la déception, on refait l’histoire, une histoire où l’aveuglement amoureux a totalement disparu ! Il n’est donc pas surprenant que cette « réécriture » survienne également après une rupture, la découverte d’une infidélité, ou de tout autre évènement décevant, et où l’évaluation du partenaire est beaucoup moins flatteuse qu’elle n’a pu l’être auparavant. On observe alors assez distinctement comment la détestation permet de tirer un trait sur l’autre, de se détacher, de surmonter plus rapidement la douleur de la rupture ou de l’infidélité et de se projeter en avant.
Le mode d’action de la détestation
Devant la douleur, la détestation se positionne comme l’organisation défensive du Moi face à un événement effracteur (une rupture, une infidélité, une intense déception) venu envahir l’espace psychique.
Elle devient une ressource (en quelque sorte compensatoire) pour restaurer et dynamiser un ego meurtri. Si celui qui déteste son ex se tient debout, c’est parce qu’il est soutenu par la colère dirigée vers l’extérieur (son ex). La détestation le porte et le supporte, l’empêche d’être annihilé par la perte ou la trahison : face à l’effondrement psychique, la détestation est pour certains la seule réponse possible. Ce sont ceux-là, très certainement, que l’on retrouve dans l’étude précitée et qui évitent ainsi de rester figés dans la douleur et le désarroi, de sombrer dans la dépression.
Pouvoir (enfin !) détester
Mais tout le monde ne déteste pas son ex me direz-vous et c’est vrai, dans une moindre mesure. Car la détestation s’empare toujours (un peu) de celui qui est blessé même si elle ne se dirige pas toujours vers l’extérieur et se retourne parfois contre lui. Peu de gens identifient clairement cette oscillation amour/détestation car si la détestation sait apparaitre, elle sait aussi disparaitre.
On peut supposer que ceux ou celles qui s’engouffrent dedans sans ne plus pouvoir en sortir sont des individus déjà abimés par l’abandon ou la trahison, souvent auprès d’un autre qu’ils n’ont pas su (pas pu ?) détester. Les séparations ou trahisons amoureuses qui sont insurmontables (et où la détestation persiste longtemps) sont souvent des réminiscences de blessures plus anciennes, déjà fortement fragilisantes. Cette nouvelle séquence ne fait qu’enfler un traumatisme déjà vécu mais la nouveauté, c’est que cette fois, ils peuvent détester un autre, sans culpabilité (contrairement à un parent par exemple). Si certaines détestations semblent disproportionnées dans leur ampleur et dans leur durée, c’est peut-être que d’anciennes douleurs trouvent (enfin !) une voie de sortie dans un conflit plus récent.
Cependant, dans bien des cas, cette détestation finit souvent par disparaitre quand le Moi se reconstitue, se renforce, où quand Éros repointe à nouveau le bout de son nez sous les traits d’un nouveau ou d’une nouvelle amoureux (se).
Les petites détestations du quotidien
Et puis il y a l’ambivalence du quotidien, celui ou celle qu’on aime et que parfois on déteste. En général, on ne déteste pas l’autre pour ce qu’il est mais pour ce qu’il fait… ou ne fait pas. L’absence de reconnaissance et de réciprocité, entre autres, est une source inépuisable de petites détestations du quotidien qui nous bascule d’un côté puis de l’autre. On peut aussi détester l’autre d’être trop absent, insuffisamment disponible, ou au contraire trop étouffant, le détester parce qu'il occupe trop d’espace et nous en laisser si peu (ce que certains ont éprouvés durant les divers confinements). "Lorsqu'on a envie de détester quelqu'un, on n'est jamais à court de raisons pour cela." déclarait si justement Jane Austen...
On peut aisément détester un comportement mais il est plus difficilement de détester une personne, surtout une personne avec qui on se projette. En effet, la détestation est consommatrice d’énergie : les jaloux, souvent prisonniers de la détestation en savent quelque chose… Raisonnant dans une logique de "tout", ils ne peuvent distinguer l'être de l'agir. La détestation comme symbole de leur impuissance (à maintenir l'autre sous emprise) les dévore et désagrège leurs relations.
Nul doute que la détestation loge en nous, prête à bondir et prête à se coucher. Elle soigne ceux qui qui sont déçus, aide à surmonter les ruptures. Elle nous protège mais peut nous détruire. Elle ressemble à un animal sauvage que l’on apprivoise mais dont on se méfie toujours un peu…
(1) Zeki, Semir & Romaya, John. (2008). Neural Correlates of Hate. PloS one. 3. e3556. 10.1371/journal.pone.0003556.
(2) Sigmund Freud, « Pulsions et destins de pulsions » (1915)
(3) Christopher P. Fagundes (2011) Implicit negative evaluations about ex-partner predicts break-up adjustment: The brighter side of dark cognitions, Cognition and Emotion
[ Post-Scriptum : Si vous souhaitez utiliser une partie ou l’ensemble de cet article, vous me voyez flattée de votre intérêt.
En revanche, je compte sur votre élégance et votre honnêteté intellectuelle pour citer vos sources dans votre article 😉 ]
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