La pornographie divise, excite ou choque la quasi totalité de la population, et on peut dire de façon plus spécifique que la totalité des personnes ayant accès à la pornographie a un avis dessus.
Les personnes qui discutent (les chercheurs) de la pornographie ne sont souvent pas d’accord entre elles : la pornographie ruine des unions, conduit à des addictions sexuelles ou à des comportements inadaptés versus la pornographie réchauffe la sexualité d’un couple, permet de se détendre à moindre frais et peut éventuellement réduire la proportion des agressions sexuelles (après que la pornographie a été légalisée au Danemark en 1969, les recherches ont montré une baisse des agressions sexuelles).
Les personnes qui regardent (les consommateurs - cette catégorie n’excluant pas de fait les chercheurs…) de la pornographie sont plus souvent excitées que choquées. Les chiffres sont têtus : de nombreuses études internationales démontrent que 50 à 99 % des hommes consomment de la pornographie ; les femmes sont entre 30 à 86% [1].
Beaucoup de personnes consomment donc de la pornographie, et n’ont aucun problème avec ça. Qu’est-ce qui fait alors que cela puisse devenir un problème ? Et sous le terme assez neutre de "problème" deux autres termes tentent de se substituer : "addiction" et "compulsion" mais j’y reviendrai plus tard.
Quand problème il y a, cela touche 9% des consommateurs de pornographie selon l’Institut Kinsey. Selon le chercheur Al Cooper, c’est 1% de la totalité de la population qui surfe sur internet qui aurait un "problème" avec la fréquentation de sites pornographiques.
Oui mais (en recherches académiques il a beaucoup de "Oui mais" ce qui rend les choses moins rébarbatives) en 2013, une flopée de chercheurs de deux universités différentes ont mis en évidence des résultats assez surprenants : tandis que la consommation de pornographie chez les hommes (hétérosexuels et vivant en couple) était associée à une baisse significative de la qualité des relations sexuelles (et ce, pour les deux partenaires) la consommation de pornographie par les femmes était, elle, génératrice d’une meilleure sexualité ! [2]
Le comportement féminin explique cette différence : les femmes consomment moins de pornographie alors qu'elles sont seules : elles le font très souvent en compagnie de leur conjoint (pour les couples hétérosexuels - population concernée par ces recherches) ce qui a pour effet une augmentation du désir et de l’excitation pour un partenaire bien particulier et bien présent.
L’abus de pornographie, correspond-il à une addiction, une compulsion ou rien de tout cela ? Les recherches ne sont pas d’accord, et donc le flou reste majeur.
Dans un article précédent, j’avais utilisé l’expression d’"addiction à la cybersexualité" car celle-ci permet de se rendre facilement compte de quoi il s’agit. Cependant, quand on observe plus finement le sujet de l’abus de pornographie, le moins que l’on puisse dire est que les chercheurs ne savent plus où donner de la tête. Pour la 5ème édition du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), bible des psychiatres, l'usage intensif de pornographie avait été proposé pour entrer dans la catégorie "Troubles de l'hypersexualité". Finalement il a été décidé que l'addiction n'étant pas reconnue, l'idée d'une "pathologie" ne l'était pas non plus, et qu'en l'état, l'usage intensif de pornographie ne pouvait pas figurer comme trouble de l'hypersexualité.
Valerie Voon, de l'Université de Cambridge est pourtant arrivée à une conclusion assez tranchante : en étudiant le cerveau par IRM des utilisateurs intensifs de pornographie, elle a constaté que celui-ci ressemblait au cerveau des alcooliques (et ses réactions quand on leur faisait visionner des images de boissons).
Ce qui pourrait aller dans le sens d'une étude de l'Inserm en 2008 sur les addictions sans produit (en particulier avec les joueurs pathologiques) qui posait une hypothèse neurophysiologique.
Dans le même temps, Nicole Prause de l'Université de Californie, est arrivée aux conclusions inverses [3]! Sa méthode consistait à mesurer une réponse électrique du cerveau appelée P300. Cette réponse s'active très fortement quand une personne est soumise à un stimulus émotionnel. Par exemple, lorsque l'on mesure cette valeur P300 auprès des consommateurs addicts de drogue, on voit très clairement une augmentation majeure de la P300.
Nicole Prause a donc décidé de mesurer cette P300 auprès des utilisateurs dépendants à la pornographie en leur faisant visionner des images dont des images sexuelles. Son hypothèse de départ était que lorsque ces utilisateurs "problématiques" visionneraient des images sexuelles, leur cerveau réagirait de manière significative et la P300 ferait un bond.
La surprise fut que non ! Les utilisateurs rapportant les plus grandes difficultés à contrôler leur consommation de pornographie n'ont montré aucun changement dans leur P300. Donc, retour à la case départ : rien ne permet d'affirmer que ces personnes fonctionnent comme des addicts.
Pour compliquer un peu plus les choses, des chercheurs de l'Université de Leicester au Royaume-Uni, ont suggéré que "l'accrochage" à la pornographie pouvait être plus une "compulsion" qu'une "addiction". [4] En clair cela signifie quoi ? Ces chercheurs pensent que les personnes qui sont dans l'incapacité de contrôler leur fréquentation de sites pornographiques sont aussi des personnes ayant des traits de personnalité caractéristiques de la personnalité compulsive-obsessionnelle. Leur comportement vis à vis de la pornographie serait "compulsionnel" comme d'autres de leurs comportements.
Tout ceci pour dire que mettre une étiquette sur le comportement problématique de la surconsommation de pornographie n'est pas chose facile… Quel en est l'intérêt ? Il est crucial car lorsque nous saurons de manière certaine ce qui déclenche un tel comportement, nous serons plus à même de proposer des traitements efficaces. (De plus, et ce n'est pas la moindre des constatations, les jeunes adolescent(e)s ont accès à la pornographie de façon facile, très facile et trop facile. En 2004, ils étaient 80% des garçons et 45% des filles (entre 14 et 18 ans) a avoir vu un film porno dans l'année. Ils étaient 48% de garçons de 14 et 15 ans a déclarer avoir vu plus de 10 films porno dans l'année et 5% pour les filles de 14 et 15 ans. Ces chiffres peuvent ne pas sembler alarmants pour certains mais je rappelle que cette étude date de 2005, donc sans le site YouPorn, Pornhub et consorts... Parmi ces jeunes, certains, peut-être même un très petit nombre, développeront un comportement "problématique" vis à vis de la cybersexualité.)
Que le comportement compulsif à la pornographie ne soit pas réellement diagnostiquable en tant qu'addiction ne change pas le fait que certaines personnes en souffrent terriblement et pour le moment, c'est bien sur l'idée d'addiction que se regroupent les traitements. Il est nécessaire de rester vigilant face à cette option de nommer l'abus de pornographie "addiction" car addiction = maladie ; dès lors de gros enjeux financiers (laboratoires, mutuelles santé et remboursement de soins, etc...) pourraient entrer en jeu.
[1] Gert Martin Hald and colleagues : The APA Handbook os Sexuality and Psychology(vol 2 - Poulsen, F.)
[2] O., Busby, D. M. & Galovan, A. M. (2013). Pornography use: Who uses it and how it is associated with couple outcomes? Journal of Sex Research, 50, 72-83
[3] Socioaffective Neuroscience & Psychology, 2013
[4] Vincent Egan, Reena Parmar : Dirty Habits? Online Pornography Use, Personality, Obsessionality, and Compulsivity. Vol 39 - pages 394-409 - Journal of Sex and Marital Therapy, 2013
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